Réflexion sur les Théories & la Politique en Afrique.

Extrait de l’essai de IDEES D’AFRIQUE

De Mohamed Lam

« Divisés nous sommes faibles. Unie, l’Afrique pourrait devenir, et pour de bon, une des plus grandes forces de ce monde. Je suis profondément et sincèrement persuadé qu’avec notre sagesse ancestrale et notre dignité, notre respect inné pour la vie humaine, l’intense humanité qui est notre héritage, l’Africain, uni sous un gouvernement fédéral, émergera non pas comme un énième bloc prompt à étaler sa richesse et sa force, mais comme une Grande Force dont la Grandeur est indestructible parce qu’elle est bâtie non pas sur la terreur, l’envie et la suspicion, ni gagnée aux dépens des autres, mais basée sur l’espoir, la confiance, l’amitié, et dirigée pour le bien de toute l’Humanité. » Kwame Nkrumah (1909-1978)

« Le grand succès des ennemis de l’Afrique, c’est d’avoir corrompu les Africains eux-mêmes. Il est vrai que ces Africains étaient directement intéressés par le meurtre de Lumumba. Chefs de gouvernements fantoches, au sein d’une indépendance fantoche, confrontés jour après jour à une opposition massive de leurs peuples, ils n’ont pas été longs à se convaincre que l’indépendance réelle du Congo les mettrait personnellement en danger. » Frantz Fanon « La mort de Lumumba : pouvions-nous faire autrement ?  » Afrique Action, n° 19, 20 février 1960 

« L’Afrique réelle – pas celle des chefs d’État et des élites incrustées au pouvoir – n’attend rien de la France. Elle a raison. Nous ne devons attendre de personne ce que nous pouvons nous offrir à nous-mêmes ». Achille Mbembe, Le Point Afrique, 2017. Propos recueillis par Valérie Marin la Meslée

Propos introductifs – Aujourd’hui encore, les ateliers, les conférences, les rencontres littéraires, les mouvements politiques et sociaux se multiplient plus que jamais autour d’éternelles questions : comment penser l’Afrique ? Comme réécrire l’Humanité à travers l’Afrique ? Comment penser et écrire l’Afrique de demain ? Penser pour un nouveau siècle ? Réinventer la modernité africaine ? Penser l’en commun ? Écrire les humanités à partir de l’Afrique ? Penser le monde à partir de l’Afrique, etc. Tout ou presque a été dit ou écrit sur l’Afrique et sur ce qu’elle doit faire pour se développer. Tout ou presque a été dit et écrit sur comment l’Africain doit voir le monde. Les discours et les textes savants sur le continent (dans les pays noirs africains notamment) ne font pas défaut. Des esprits éveillés qui ont compris ce qu’il manque et ce qu’il ne manque pas à l’Afrique il y en a à revendre. On ne compte plus le nombre d’études, d’ouvrages collectifs ou individuels, d’analystes, de «  penseurs », d’écrivains, de militants existants. Tous sont d’accord pour dire et écrire que l’Afrique va mal. Tous connaissent les raisons de ce mal africain et tous proposent des solutions, parfois théoriques, parfois concrètes. Les discours et les textes allant dans le sens de la réflexion à la conception d’une nouvelle Afrique, une Afrique digne, fière et qui serait en bonne santé économique et militaire ont toujours existé. Ces discours sont encore aujourd’hui repris et répétés. De la négritude au panafricanisme en passant par ce que j’appelle les nouvelles vagues idéologiques que sont les activistes supra-panafricanistes et les intellectuels de la pensée africaine moderne, tout a été dit ou presque. Cependant, on constate clairement que les changements devant avoir lieu ne se sont jamais produits. Pourtant, les discours sur le continent africain eux ont tout de même bien évolué et sont devenus bien mûrs, modernes et maîtrisés. Mais on note difficilement des changements considérables ou une quelconque évolution que ce soit sur le continent noir. L’Afrique est ce territoire très habité, jeune, mais très hanté par son passé. Ce territoire qui marche aujourd’hui à la traîne et qui fait face à de nombreux défis. Mais ces derniers restent toujours dans des projections. Ils sont d’ordre politique, économique, mais surtout d’ordre civilisationnel. Les nouvelles dynamiques intellectuelles et les activistes ainsi que l’enthousiasme qui anime ces « enfants d’Afrique » frayent actuellement le chemin pour les plus jeunes ou les générations à venir. Les sociétés sont nombreuses, différentes et complexes sur le continent africain. Chaque espace étatique, chaque territoire détermine et fonde son fonctionnement sur des bases bien déterminées. C’est une erreur de réfléchir sur l’Afrique dans sa globalité sans tenir compte des disparités. C’est également une erreur, ici fondamentale, de prétendre penser et écrire l’Afrique d’aujourd’hui tout en ignorant la spécificité et les capacités de chaque espace territorial. Les espaces étatiques sont souverains. Des intellectuels pensent qu’il faut refaire l’Afrique. Refaire dans le sens de reprendre un nouveau départ. Mais penser ceci implique de reconnaître ipso facto qu’elle est déjà faite. Seulement, réfléchir à la possibilité d’une nouvelle vision, ici collective, et le faire avec philosophie implique une vision qui doit être exploitée. Je crois que le problème majeur de l’Afrique est politique. Seulement politique. Toutes les autres considérations, toutes les pensées ou sciences sur les modes de développements économiques ou autres sciences sont subordonnées et dépendent directement de la politique. Les discours qui veulent vraiment tendre vers un changement significatif de paradigme doivent avoir une forte connotation politique. Je pense avec force que les plus grands changements se feront en Afrique lorsque les élites, tous les intellectuels et penseurs d’Afrique et tous les activistes panafricanistes décideront de mettre en commun leurs forces pour véritablement se pencher sur la mise en place de véritables réformes politiques. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne pense que nous pouvons renforcer notre esprit de solidarité. Il l’a démontré dans plusieurs de ses interventions publiques et part de la notion d’Ubuntu afin de réfléchir à la nécessité de voir les choses autrement et à l’impératif de ce qu’il traduit par Faire humanité ensemble. Il définit et traduit ce concept venu des langues bantoues d’Afrique australe comme la meilleure façon de revenir vers les solutions et des regards simples sur les sociétés. Recourir à l’Ubuntu serait donc un beau moyen de construire ensemble une société globalisante viable et basée sur les solidarités humaines. Ce concept qu’il emprunte à l’Afrique du Sud de Nelson Mandela et de Desmond Tutu me paraît fondamentalement important dans cet essai. Il aura le mérite d’appuyer l’idée selon laquelle nous devons avoir une philosophie politique endogène. Mis à part de beaux -mais vrais- et grands discours intellectuels sur ce que devrait être le continent africain, aucun progrès n’a véritablement été enregistré afin de permettre aux filles et fils d’Afrique de retrouver leur dignité dans un monde moderne en très fortes mutations. L’Afrique est en retard, mais elle n’a apparemment rien à rattraper si l’on s’en tient aux dires de Felwine Sarr. Les phénomènes explicatifs de ce retard sont très nombreux, mais il ne s’agira pas dans les propos suivants de les énumérer. Il conviendra plutôt d’aborder cette notion d’Ubuntu dans toutes ses dimensions. Cette notion, issue de la philosophie africaine, pourrait permettre de trouver un moyen de solutionner définitivement la manière de penser et d’écrire immédiatement l’Afrique afin de mesurer son poids, sa présence et son rôle dans le monde. Pour aller vers une unité décidée par les Africains et pour les Africains, puis envisager la refondation d’une Afrique une et indivisible, il m’a ainsi semblé utile de partir d’abord d’une explication politique. Il est impossible aujourd’hui aux pays africains de se développer correctement sans changer leurs modèles et systèmes politiques. Je partirai donc de la thèse de Souleymane Bachir Diagne qui serait de « réaliser notre humanité dans la réciprocité », mais en l’abordant d’un point de vue philosophique et politique. Cette thèse qui anima la vision de Desmond Tutu, part du postulat suivant : « je suis humain parce que tu es aussi humain ». La nécessité de faire usage du concept Ubuntu revient comme pour rappeler celle de redevenir humain soi-même pour concéder à l’autre cette qualité. Ce qui, donc, veut dire mettre à disposition ses propres capacités humaines au service de l’humanité. Faire usage de l’Ubuntu, c’est aussi reconnaître l’humanité d’autrui qui d’ailleurs est intimement liée à la nôtre. Si chaque pays africain adopte cette façon de voir et d’envisager les relations et les coopérations entre États, je pense que nous formerons vite une unité politique basée essentiellement sur les valeurs africaines. Mais pour ce faire, il est important de se débarrasser des vieilles formules politiques consistant à copier-coller les modes de gestion étatiques qui ne correspondent pas aux réalités du terroir. Il faudrait alors pratiquer la politique de façon générale selon ce que nos traditions et nos philosophies ont de meilleur en termes d’organisation de la société. Souleymane Bachir Diagne affirma les mots suivants, dans une conférence sur le thème des Humanités : « Ubuntu a été utilisé en Afrique du Sud pour dépasser la situation de l’apartheid et toutes les abjections qui avaient été commises. Le mot a été employé pour fonder la commission réconciliation et vérité qui avait été créée pour connaître les atrocités de l’apartheid, pour connaître la vérité, mais pour la connaître en vue de la réconciliation et non pour la punition ou pour le châtiment, mais pour sortir de la situation en quelque sorte par le haut ». C’est justement la philosophie qu’employait Desmond Tutu qui pense que « nous ne pouvons devenir humains qu’ensemble ». Il semble donc évident aujourd’hui que, pour avoir une vision globale de la politique africaine, il est impérieux de partir du concept proposé et de se pencher davantage sur la question politique. Refaire l’Afrique ensemble sur la base de l’Ubuntu et tenter de penser, comme l’a suggéré Felwine Sarr, à « l’écriture des humanités à partir de l’Afrique » (Dans l’ouvrage collectif Les Ateliers de la pensée, 2017 ; Philippe Rey / Jimsaan). Mais pour ce faire, beaucoup se sont exprimés sur la question de la décolonisation des savoirs vis-à-vis de l’Afrique. Question importante dans un monde où l’imaginaire de l’autre sur le continent africain est biaisé et ne reflète pas le réel sur ce vaste territoire. On fantasme sur le continent noir, on l’envisage, on l’imagine, on l’interprète, on le dévisage au lieu de le regarder, on l’anticipe, on y projette tout : vision, projets, perspectives, etc.

Faut-il décoloniser les savoirs ? Quels savoirs ? Pour qui ? Et pour quoi ? Il est primordial, en guise d’introduction, de se poser des questions de cette nature. Mais il est d’autant plus important de savoir quels savoirs décoloniser et dans quelles conditions. Pour ce faire, il faut donc avoir compris ce qu’est la colonisation, ce qu’est la décolonisation et ce que peut signifier le mot « savoir » dans cette même idée. Mais avant la colonisation, un bref rappel historique de l’esclavage sur le continent noir s’impose. De l’esclavage, pour commencer – « Il faut se souvenir de l’esclavage, disait Aimé Césaire, de cette mémoire de l’humiliation ». Mais se souvenir, ce n’est pas rester dans le passé, mais questionner le présent pour envisager le futur. Se souvenir de l’histoire de l’homme noir, c’est acquérir les savoirs qui font de ce dernier le « nègre fondamental ». J’interroge mon ami Rafael Lucas, spécialiste de l’esclavage et du marronnage, agrégé en langue portugaise, enseignant chercheur à l’Université de Bordeaux Montaigne, sur cette question de la traite et des savoirs africains. Selon lui, la pensée politique de Toussaint Louverture, à travers sa lutte pour l’abolition de l’esclavage, peut répondre à la question. Conscient de sa condition d’homme noir dans un environnement d’esclavagistes, Toussaint se libéra de la mentalité d’homme inférieur et lutta pour l’abolition. De là naît son enracinement à Saint-Domingue en Haïti et en même temps son ouverture, sans jeu de mots, à l’humanité. Il me rappelle aussi que l’Afrique a d’abord été pillée et humiliée par le monde arabo-musulman pendant treize siècles de pratique de l’esclavage. En effet, en 1235, c’était depuis Le Caire que les caravanes d’esclavagistes venaient, traversant le désert jusqu’à Tombouctou au temps de Soundiata Keïta, empereur à l’époque de l’empire du Mali. Les esclavagistes arabes considèrent à cette époque les noirs africains comme des sauvages, plus proches des animaux stupides. Il fallait donc les islamiser. Avec mon ami Rafael Lucas, on a échangé sur l’histoire de Tombouctou qu’on a trouvée intéressante à plusieurs égards. Il me fit savoir que les marchands d’esclaves venus du monde arabe se situaient dans ces environs. Ils avaient une conception racialiste de leur commerce. La liberté des hommes dépendant intrinsèquement de leur appartenance : « le sang noble des hommes clairs ». La traite transsaharienne a donc réussi à assujettir des hommes et des femmes en se basant sur des critères raciaux. Le noir est pour eux, cet être issu des âmes les plus abominables. Cette représentation de la personne noire fabrique et dépose dans les esprits malveillants un racisme inconscient. Cela justifie le nombre immense de déplacements des populations vers des endroits divers du monde. Selon les historiens, environ 350 000 Africains ont alors circulé entre les VIIe et XIVe siècles entre l’Afrique, l’Europe et le monde arabe, car ils étaient considérés comme des sous-hommes. À partir du XIVe siècle, l’Europe entre en jeu comme acteur fondamental. Elle continue, à son tour, à se servir et à tirer bénéfice de ce commerce d’envergure qu’était la traite de l’homme noir. Les Portugais sont les premiers acteurs européens à dégager les Arabes à cette époque. Henri le Navigateur, grand prince portugais, brave l’Atlantique et se dirige vers l’Afrique. En 1434, les voies vers le continent noir sont tracées. Arrivés en Afrique, ils capturent, embarquent et massacrent. En 1444, de la Mauritanie au Maroc, ils pillent et prennent des esclaves hommes, femmes et enfants. « Territoire de sauvages », il faut leur apporter la civilisation. Au XVe siècle, les embarquements continuent et des Africains se retrouvent à Lisbonne, au Portugal. Ils vivent intégrés aux familles esclavagistes, mais demeurent sous domination morale et physique. La religion joua un rôle important. Le christianisme, pour obtenir plus de disciples, aide les esclavagistes à gagner le terrain africain. Le christianisme justifia son concours comme une aide à apporter aux Africains : les sortir de leur esclavage perpétuel. Ce qui signifie clairement que l’homme noir, parce qu’il est noir, est condamné à l’esclavage, pour l’en sortir il faut le christianiser et pour le christianiser il faut autoriser leur capture. L’esclavage devient une pratique qui rapporte. Des sociétés entières se forment et des élites traditionnelles africaines en recherche de notoriété et de pouvoir jouent le jeu. Sao Tomé fut l’une des sociétés humaines les plus touchées par cette exploitation de l’homme par l’homme. La traite transatlantique enrichit l’aristocratie noire et blanche. L’élite prédatrice noire de l’époque joue beaucoup dans la réussite de l’esclavagisme portugais. Pour le Portugal, cette affaire commence à développer l’économie et le commerce. Les noirs esclaves s’intègrent et deviennent membres de la société portugaise. À partir du XVIe siècle, toute l’Europe imite le Portugal. Partir en Afrique pour s’enrichir. Cette partie de l’histoire est véritablement ancrée dans les consciences africaines.

La question coloniale – Sautons la période des trafics d’esclaves et abordons directement et de la façon la plus simple et pédagogique la question coloniale. L’Afrique a toujours été un endroit où les Européens venaient pour faire des affaires, un lieu de rencontre entre puissances du monde pour commercer. À partir de 1880, elle est envahie par les plus grandes puissances européennes qui avaient pour unique ambition de trouver de nouvelles sources de matières premières pour développer leurs industries. Alors, il fallait simplement se partager le territoire africain. L’Angleterre choisit l’Égypte et le Nord Soudan, l’Afrique du Sud, la Rhodésie et le Kenya, sans compter le Nigéria et la côte de l’Or. La France, présente en Algérie depuis 1830, poursuit sa conquête sur tout le Sahara et va même jusqu’à Madagascar. L’Angola et le Mozambique sont pour le Portugal, alors que le Cameroun et le Tanganyika sont pour l’Allemagne. Le Congo revient donc à la Belgique du Roi Léopold, sans oublier l’Italie et l’Espagne qui prirent leur part du gâteau avec ce qui resta. Tout ceci a évidemment fait l’objet d’une concertation en amont. Ces puissances ne se sont pas réveillées un jour pour réaliser ce partage. C’est en 1884, à Berlin en Allemagne, qu’elles se sont donné rendez-vous pour parler affaires. Des frontières sont alors établies entre les peuples d’Afrique. Des cartes tracées pour délimiter le champ d’action et d’exploitation de chacune d’entre elles. Ont-elles demandé l’avis des Africains pour établir ce découpage sur leur sol ? Non. Les ont-elles quand même avertis ? Sûrement pas. Alors, pour qui cet effort avait-il été fourni ? Pour l’Europe exclusivement. L’idée demeurait simple, envahir l’Afrique, se l’approprier, et poser des règles d’organisation politique sur les populations qui y vivent. Les Africains étaient considérés comme sauvages et sans âmes, alors il fallait les traiter comme tels. Les colons étaient unanimes sur ces éléments de considération. L’Europe, toute puissante, venait ainsi très généreusement apporter à l’Afrique, toute paresseuse, la « civilisation ». Cet état d’esprit du colon était d’autant plus présent à l’époque qu’il faisait s’exposer des Africains et d’autres indigènes dans la ville de Paris. Les Parisiens y allaient, car c’était un événement très attendu. Des indigènes, ils n’en rencontraient pas tous les jours, surtout dans les années 30. L’historien Pascal Blanchard est d’ailleurs l’un des rares de sa génération à s’être penché sur cette question d’exposition. Pour lui, cette séquence fait partie intégrante de l’histoire coloniale même s’il n’y a quasiment pas, avant lui, d’études réalisées à ce sujet. Il démontre donc dans ses différents travaux sur la mémoire coloniale que le fait d’exhiber les indigènes dans les villes occidentales était perçu comme une chose absolument légitime et confortait l’opinion publique curieuse de les voir, les approcher, les toucher, à l’idée qu’il était également légitime de les coloniser. Pour cet historien, « c’est de cette manière que l’occident a pensé et a créé son racisme et l’a fait sans violence ». Pour lui, ses expositions n’étaient rien d’autre que des zoos humains et c’est, selon lui, ce qui a popularisé le racisme et l’a établi dans les sociétés occidentales. L’idée de supériorité de la race blanche fut alors installée dans les esprits. La colonisation a marqué de façon définitive les peuples d’Afrique. La violence de cette histoire traverse les époques et se ressent comme si elle vient de se passer. C’est que le colon a agi sur les territoires africains de la même façon que s’ils étaient vides jusqu’au moment où il rencontre des résistances. La colonisation devient alors brutale. Tueries d’hommes, de femmes et d’enfants s’en suivent. Il ne fallait pas s’opposer aux ordres du colon, cet apporteur de religion, cet illuminé, ce porteur de civilisation. Une civilisation taillée sur mesure pour les Africains. Une civilisation à apprendre aux peuples arriérés et dépourvus d’un passé historique. 

Résistances – La question de la résistance au sein des territoires colonisés me semble importante à plusieurs égards. D’abord, parce que l’on constate que quasiment tous les peuples opprimés, que ce soit au temps de l’esclavage qu’au moment de la colonisation, ont, à un moment donné, résisté pour défendre leurs terres et leur dignité. Ensuite, précisément pendant la période coloniale, cette question de la résistance n’est pas suffisamment connue. Il n’y a donc pas de réponse humaine plus noble que la résistance lorsque les libertés et la dignité sont bafouées au nom d’ambitions égoïstes et injustes. Les peuples opprimés se sont toujours soulevés pour protéger leurs territoires et leurs vies. Il en est ainsi du phénomène du marronnage, par exemple, en Amérique latine et dans la Caraïbe. Selon le chercheur haïtien Rafael Lucas « dans différents contextes historiques et politiques [ce phénomène] montre aussi comment cette question emblématique (et brûlante) du passé des populations réduites en esclavage sert de support à une identité douloureuse à travers maints débats et controverses ». Rafael, l’un des chercheurs bordelais les plus avertis sur cette question, m’a livré des analyses pertinentes qui méritent qu’on s’y attarde. Il part d’une étude qu’il qualifie de minutieuse réalisée par l’Haïtien Jean Fouchard, Les Marrons de la liberté (1972), qui démontre l’importance du marronnage pendant la période coloniale à Saint-Domingue et son rôle de catalyseur dans la révolution qui déboucha sur la création de l’État d’Haïti. Selon lui, se pencher de façon académique sur cet aspect de l’histoire de la résistance est extrêmement important dans le travail de mémoire. Les recherches historiques ont permis de tirer de l’oubli de nombreuses figures qui ont longtemps pâti d’un déficit d’investigation et de reconnaissance en tant que figures référentielles crédibles. La mise en lumière des Marrons, en tant qu’acteurs de l’histoire de pays issus de la grande rencontre tricontinentale dans le Nouveau Monde, fournit une légitimation d’ordre scientifique à des démarches identitaires par le recours à la mémoire. Elle montre, en outre, qu’entre le fonctionnement “normalisé” du totalitarisme esclavagiste et les abolitions “généreuses”, le marronnage a illustré le lien naturel entre systèmes d’oppression et systèmes de résistance.  Des résistances ont également eu lieu en pleine période coloniale. En Afrique-Occidentale Française, et partout sur le continent africain, elle emprunta des formes diverses et variées. L’Islam, à cette époque, étant déjà bien implanté à l’ouest de l’Afrique, certains chefs religieux n’hésitaient pas à prendre les armes d’autres à résister au nom de Dieu sur des bases spirituelles. Ce fut le cas de Cheikh Ahmadou Bamba au Sénégal. Ce passé hante encore aujourd’hui la mémoire collective. Il faut constater qu’il n’a pas définitivement été soldé. Même si la reconnaissance de ces atrocités a eu un effet d’apaisement dans les relations entre l’Afrique et l’Europe il n’en demeure pas moins que l’esprit impérial est toujours plus ou moins présent dans ces rapports. Il me semble donc très important, dans un premier temps, de procéder à la déconstruction existentielle des pensées, des idées, des textes et des discours. Étant donné que tout est politique et qu’il est quasiment impossible que d’autres sciences ou d’autres revendications sociales aient du sens sans la bénédiction des politiques en Afrique, il est urgent aujourd’hui de faire se converger toutes les forces progressistes nouvelles vers cet aspect.

POUR UNE PHILOSOPHIE POLITIQUE PANAFRICAINE

«La lutte contre nos propres faiblesses (…), quelles que soient les difficultés créées par l’ennemi, cette lutte contre nous-mêmes est la plus difficile, aussi bien au moment présent que dans l’avenir de nos peuples.» Amilcar Cabral « L’arme de la théorie », discours tenu à la Conférence Tricontinentale de La Havane (Cuba) en 1966

Par philosophie politique panafricaine, j’entends le retour nécessaire sinon urgent aux idées et aux théories qui ont animé les premiers personnages politiques africains de la période coloniale à la période postcoloniale. Pendant longtemps, des philosophes occidentaux ont nié la possibilité aux Africains d’avoir eu une philosophie. Il y a évidemment des études qui démontrent de plus en plus qu’elle existe bel et bien, mais à condition de ne pas la comprendre ou l’envisager avec le regard occidental. Autrement dit, philosopher en Afrique n’est pas faire état des concepts et théories occidentales, car l’occident, tout comme l’Asie et dans d’autres coins du monde, a sa propre science philosophique qui provient de ses racines, de sa civilisation. Philosopher en Afrique c’est donc partir des fondements des cultures et des traditions sociales et politiques du continent. Il est impossible de faire de la politique sans avoir une identité, il est alors impossible d’avoir une politique qui fonctionne sans avoir, en amont, réfléchi à la philosophie de cette politique. Je pense que l’Afrique, si elle dispose très certainement de grands penseurs, manque cruellement de grands hommes et de grandes femmes politiques. Des hommes et des femmes libres d’esprit, foncièrement conscients des besoins du continent et possédant des valeurs africaines tirées du plus profond du réel africain À ce titre, le philosophe Mbombog Mbog Bassong, dans son ouvrage majeur La méthode de la philosophie Africaine (L’Harmattan), propose une vision que je trouve originale. Il étudie l’épistémologie africaine et la place de la philosophie et de la rationalité dans le monde africain. L’idée principale dans la pensée de Bassong consiste ainsi à replacer la pensée africaine dans le centre des réalités épistémologiques du continent et à sortir de la culture d’aliénation.

La rationalité africaine – En sciences humaines et donc dans les pensées philosophique, psychologique et sociologique, la rationalité est un concept servant à définir et mesurer la capacité de raisonnement. Dans l’imaginaire des colons et des marchands d’esclaves, cette capacité a toujours été niée aux Africains : « l’émotion est nègre ». La rationalité serait donc la qualité de ce qui, dans l’ordre de la connaissance, est rationnel (c’est-à-dire relevant de l’usage de la raison ou de l’intellect) et de ce qui, plus rarement, dans l’ordre de la pratique, relève du raisonnable. Sans rentrer dans les détails de ces préjugés sur l’homme noir, il est évident que cette capacité est présente chez tous les humains et c’est justement ce qui distingue l’homme de l’animal. Penser que l’homme africain est dépourvu de rationalité ou de raison revient à le classer au stade animal. Ce qui m’intéresse, c’est la réflexion sur la question de la rationalité africaine vue sous l’angle de son implication dans les modèles politiques, économiques et sociaux. Les Africains doivent disposer de la capacité rationnelle à fonder leurs propres modes de fonctionnements sociaux, partir des traditions africaines pour concevoir des systèmes politiques solides dans lesquels les enfants d’Afrique se reconnaîtraient. Pour ce faire, il faut absolument adopter une philosophie politique endogène faite sur mesure. Cela ne pourrait se réaliser que par les actes d’engagement d’hommes et de femmes politiques intègres, défenseurs d’un panafricanisme moderne ouvert sur le monde qui peuvent s’inspirer des traditions africaines pour concevoir la politique et mettre en place des institutions fortes.

Pour une théorie économique panafricaine – Je pense aussi que l’économique passe par le politique. Il est pratiquement impossible de créer des conditions de vie sociale et économique viables à travers des modèles conçus dans et pour d’autres sociétés. La responsabilité des élites intellectuelles, politiques et économiques africaines revient donc à penser les sociétés africaines selon les modes de vie du continent, des peuples et des cultures. L’économie, tout comme la sociologie, se veut intimement liée à la culture traditionnelle et la mise en place d’une véritable culture économique passe par l’action politique. Une économie en bonne santé est une économie qui doit donc absolument être adaptée en fonction des types de sociétés. Les peuples d’Afrique ont toujours fonctionné sur la base du communautarisme et de la solidarité. La question du capitalisme et des modes de fonctionnement économiques libéraux et néolibéraux inspirés des sociétés européennes ne peuvent, à mon avis, pas être appliqués avec succès sur le continent sans une mise en adéquation. La preuve en est que c’est le cas actuellement et c’est un échec. Certains militants pensent qu’adopter et pratiquer le capitalisme occidental conduit donc à la destruction des valeurs de solidarité et des modes de vie communautaires africains. Pour penser la construction de sociétés africaines sur la base des réalités du terroir, il importe alors de faire le bilan sur les modèles politiques et économiques jusqu’ici appliqués. Le philosophe Mbog Bassong pense même que s’inspirer de la Théorie économique africaine peut représenter une alternative à la crise du capitalisme mondial. Il s’attaque en outre au capitalisme occidental et considère qu’il n’est pas conçu pour être applicable aux sociétés africaines. D’ailleurs, on le sait, la notion de capitalisme par exemple ne peut être abordée sans tenir compte des thèses de Karl Marx et du contexte occidental. Il est question de classe sociale et d’organisation du travail. Le marxisme pense ces éléments pour procéder à la critique du capitalisme ainsi que l’étude des groupes sociaux. Peut-on dire que le marxisme est une solution applicable en Afrique parce qu’il tend vers une égalité entre individus ? La lutte des classes est centrale dans la vision marxiste. Or, on le sait, les sociétés africaines ne reconnaissent pas nécessairement l’existence de classes sociales. Ces sociétés sont plutôt traditionnelles et conservatrices et sont généralement constituées en castes. Dans une société capitaliste, le rang social des individus dans le processus de production détermine leur classe sociale. Je pense que c’est là même la contradiction concernant l’application systémique des théories économiques occidentales sur le continent africain. Il est clair que la lutte des classes se tient au centre du mode de fonctionnement et de production capitaliste. On parle de salariat, de l’opposition bourgeoisie-prolétariat et cela anime les concepts marxistes et définit l’identité de la pensée économique de Marx. Les sociétés africaines étant généralement traditionnelles et donc, on l’a dit plus haut, fondamentalement basées sur la solidarité humaine, il serait plus judicieux de s’inspirer de ces valeurs sociétales pour concevoir une véritable économie politique. Ainsi, aujourd’hui, je crois qu’il est important de penser une meilleure adaptation théorique des idées politiques et économiques importées. L’Afrique disposent de grands penseurs et de théoriciens mais les rares intellectuels « révolutionnaires » qui occupent l’espace des débats publics et des questions d’actualité africaine n’ont pas le courage de politiser leurs discours. Les seuls qui aujourd’hui abordent les questions d’autonomie financière ou les questions liées à la souveraineté africaine demeurent les activistes dits, avec une commodité langagière, panafricains. Cependant, ils sont certes populaires auprès d’une certaine jeunesse, mais ils ne détiennent absolument pas les outils techniques ou financiers nécessaires pour bâtir une Afrique économiquement et politiquement solide capable de s’imposer au monde moderne. Les intellectuels africains qui imaginent pouvoir refaire le monde des Africains sans sauter le pas se trompent et ne font que faire perdre du temps aux peuples avec des discours très éloignés du réel africain. Penser ? Oui ! Mais le faire avec le ventre plein c’est mieux. Pour y arriver, il faut donc concevoir une véritable philosophie politique africaine avec l’engagement politique des penseurs et des penseuses. Les intellectuels africains doivent prendre conscience qu’ils peuvent représenter un véritable moteur dans le processus de transformation et d’évolution des sociétés africaines et devenir les principaux artisans de son émergence.

S’engager à partir du réel africain – J’appelle le réel africain, ce qui est vécu. Ce qui est en train d’être vécu. En Afrique, c’est la pauvreté, les guerres, les coups d’État militaires et électoraux, les problèmes d’éducation et de développement, l’absence d’infrastructures, la fuite des cerveaux, l’émigration, la dépolitisation des élites intellectuelles et d’une partie de la jeunesse, les détournements de fonds publics étatiques, la corruption, le djihadisme, la problématique du troisième mandat électoral etc. Ce tableau sombre, c’est ce que j’appelle le réel africain. On peut être tenté d’aborder la question d’un point de vue élitiste ou de décrire une image plus propre, mais il se tiendra éloigné du réel, donc du vécu actuel des Africains. Telle est donc sa situation actuelle. Cependant, après la dénonciation, il faut avoir la décence de proposer. Et proposer c’est sauter le pas et s’engager dans la lutte politique pour transformer les discours et les idées en projets concrets. Comme je l’ai indiqué plus haut, seule la lutte politique peut libérer l’Afrique de son sous-développement. Qu’elle n’ait rien à rattraper par rapport aux puissances occidentales ou d’Asie, on peut l’entendre, mais il revient à tout intellectuel honnête et raisonnable de penser et d’écrire l’Afrique sous l’angle politique essentiellement. Le continent noir africain manque cruellement de grands hommes politiques. Il manque également d’institutions fortes capables de procurer aux Africains des conditions de vie «  normales ». Les élites intellectuelles ont cette fâcheuse tendance à utiliser des discours creux et trop profond souvent loin, très loin de la réalité de la vie de nombreux Africains. Leurs discours sont parfois même plus flous que les discours des politiques. Oui ! Il faut aujourd’hui mettre en place des espaces de réflexion pour définir le futur de l’Afrique. Oui ! Il faut absolument préparer le terrain intellectuel et scientifique pour les générations d’Africains à venir. Seulement, il s’avère indispensable d’adapter ces efforts aux réalités complexes, multiples et diverses des peuples d’Afrique. La réponse est politique. Il est temps de fonder les politiques africaines sur la base de la philosophie africaine. Une philosophie du partage, de solidarité et d’entraide. Une philosophie politique qui permettrait de réinventer les rapports de force existants entre les peuples et leurs gouvernants, entre les riches et les pauvres, entre les États (…)

Réflexion sur les Théories & la Politique

en Afrique.

Mohamed Lam

Sur la question linguistique, Conférence de Mohamed Lam à l’Université de Bordeaux Montaigne. 

Thèmes :
Restitution conférence-débat
Université de Bordeaux Montaigne
De « L’Oubli Volontaire, pour un nouveau contrat social en Mauritanie », Éditions SYDO. 
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Tout d’abord, je remercie le Collectif de chercheurs arabesque de m’avoir offert l’opportunité de m’exprimer dans ce lieu de culture et de savoir.
 
J’ai eu l’occasion, ce 04 mars 2020, de m’exprimer sur plusieurs questions notamment celle de la problématique des langues nationales , la situation des droits humains, le déséquilibre communautaire et ethnique etc.
Il fallait enfin proposer des solutions et perspectives.
 
La question linguistique étant à mes yeux celle qui bloque l’unité nationale, je vous propose mes analyses sur cette question. 
 
I- Sur la question linguistique en Mauritanie
 
1- la langue, comme facteur d’intégration
 
La Mauritanie est un pays multiculturel et pluriethnique. Chaque ethnie constitue une communauté spécifique avec ses us et coutumes. L’ensemble des communautés forme la communauté nationale. Le peuple Mauritanien. 
 
Les langues nationales sont : le pulaar, le wolof, le soninké, l’arabe (et le bambara, une langue non inscrite dans la Constitution) . L’arabe est la langue officielle du pays selon le texte constitutionnel. Le français, une langue administrative.
 
Cependant, le fait d’utiliser la langue arabe comme langue de jure (officiellement reconnue par la loi fondamentale comme telle) constitue un obstacle majeur à l’intégration des autres communautés ethniques comme les WOLOFS, LES PEULS, LES SONINKES ET LES BAMBARAS.
 
* L’ intégration
 
L’intégration d’un groupe d’individus dans un pays donné passe d’abord par la promotion et la protection de la langue utilisée par ce groupe. Or, en Mauritanie, les langues nationales ne sont pas enseignées afin de permettre à ceux les utilisent de se sentir concernés et impliqués dans les affaires publiques, administratives et sociales.
 
Ce déficit ne peut donc provoquer qu’un sentiment d’exclusion.
 
2- la langue, comme facteur d’exclusion
 
Il est clair que dans tout type de société, lorsqu’un individu ne travaille pas avec sa langue, n’étudie point dans celle ci et ne peut donc ni produire du savoir ni en acquérir à travers l’usage de sa langue , il est appelé à ne pas être totalement impliqué dans la gestion de la cité.
 
Prenons l’exemple du wolof en Mauritanie. Il parle essentiellement wolof et utilise le français comme langue administrative. Si on lui impose l’arabe, comme langue enseignée à l’école en plus du français qui n’est pas sa langue maternelle, il aura beaucoup de mal à s’intégrer pleinement dans la société.
Il en est ainsi pour le soninké, le bambara et le peul.
 
Toutefois, toutes ces ethnies apprennent l’arabe à l’école. D’une part parce qu’elles n’ont pas le choix, d’autres part, parce que l’école Mauritanienne étant bilingue, les élèves sont dans une obligation de partir sur cette base. Il faut souligner tout de même que le choix d’apprendre uniquement l’arabe existe.
 
Le citoyen peul qui ira à l’école aura donc deux défis à surmonter : apprendre deux nouvelles langues étrangères (Arabe, Français).
 
Il est également important de souligner que ni l’arabe ni le français ne sont ses langues maternelles. Il n’est donc absolument pas préparé, depuis le cercle familial à en faire usage.
 
Un enfant peul parle peul à la maison. Mais à l’école, il doit se débrouiller à acquérir des connaissances dans des langues qui lui sont totalement étrangères.
 
Ce fait constitue, à mon avis, un facteur élémentaire d’exclusion. Je propose que les autorités Mauritaniennes prennent en compte ce facteur dans leur projet politique. 
 
* L’exclusion :
 
Il s’agit là de mettre l’accent sur la question de l’exclusion d’un groupe dans une société donnée.
 
Un individu ou un groupe d’individus peut être exclu de différentes manières mais l’exclusion par l’usage de la langue est plus profonde.
 
On ne peut nier le fait que parler et travailler dans sa langue maternelle est beaucoup plus utile que le faire dans une langue étrangère.
 
L’apprentissage est ici ralenti, et l’individu apprenant un autre mode linguistique de communication se voit complètement retardé par les années qu’il passera à cet apprentissage.
 
Le système éducatif Mauritanien doit alors urgemment se lancer dans des réformes profondes afin de promouvoir les langues des autres Mauritaniens et leur permettre et d’étudier et de travailler dans leurs propres langues.
 
L’usage de l’arabe exclisif comme langue officielle constitue donc un élément fondamental d’exclusion qu’il aurait fallu corriger il y a déjà plusieurs décennies.
 
3- L’usage des langues pour favoriser le bien vivre ensemble : l’unité nationale.
 
Solutions et perspectives
 
– Solutions : 
1- Former les formateurs (enseignants) dans les 5 langues nationales.
 
2- Imposer le choix d’au moins deux langues nationales aux élèves à l’école au primaire ( les 2 premières années du primaire) et les trois autres (les 3 dernières années du primaire) ainsi de suite jusqu’au collège et au lycée.
 
Ce choix imposé permettra aux jeunes élèves, collégiens et lycéens de partir sur des bases égalitaires.
 
3- Faire des langues nationales les langues de travail et de communication dans l’administration.
 
4- Le français, à mon avis, devrait être la seule langue officielle. Aucun Mauritanien n’a le français comme langue maternelle. Alors aucun Mauritanien ne pourra prétendre être favorisé si tel était le cas.
 
Les Maures sont plus à l’aise avec la langue arabe. Le hassanya parlé n’est rien d’autre qu’un dialecte arabo-berbère. Ils ont alors plus de chance de réussir et s’intégrer dans la société Mauritanienne qu’un Wolof, un Peul, un Soninké ou un Bambara.
 
– Perspectives :
 
1- Des réformes profondes pour la promotion et la protection des langues nationales, 
2- Des révisions ou modifications constitutionnelles dans ce cadre,
3- Un dialogue national inclusif
 
Pour l’unité nationale, pour l’amour de mon pays, pour le bien vivre ensemble. 
 
Mohamed Lam,
Bordeaux, le 05/03/2020. 
Restitution intervention Université Bordeaux Montaigne.
 
Crédit photo : Aurelien Fays 
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Déboulonner ou ne pas déboulonner ? 

De façon générale, je suis contre le déboulonnage ou la destruction des statues de personnages historiques. Ce sont des éléments d’histoire qu’il ne faut pas effacer mais qu’il faut assumer. C’est une erreur que de penser que c’est la seule solution pour rendre aux descendants malheureux de l’histoire leur dignité. Il faut laisser les statues mais exiger la contextualisation. Il faut surtout lutter pour obtenir plus de statues de personnages méconnus et dont leurs actes ont été insuffisamment enseigné dans les manuels scolaires. L’histoire a été raconté par les vainqueurs. Mais aujourd’hui, les descendants des “vaincus” demandent la restitution complète du passé et donc du récit collectif. Ce qui est doit être entendu.

Des mouvements citoyens reclammant l’effacement dans l’espace public des statues de figures historiques controversées refont actuellement échos presque partout dans le monde.

Christophe Colomb, décapité à Boston. À Miami, sa statue est repeinte en rouge, vendalisé. En Viriginie, elle a fini dans un lac. En Angleterre, c’est la statue d’Edward Colston, armateur négrier, qui a été déboulonné. En Belgique, la statue du Roi des Belges Léopold 2 est, elle, méconnaissable, retiré d’un square car complètement repeinte en rouge. En Martinique, deux statues de Victor Shoelcher ont été détruite lors de la commémoration de la journée de l’esclavage. La statue de Colbert, auteur du code noir, est également la figure la plus emblématique la plus ciblée.

On se rappelle également, il y a quelques années, au Ghana, que la statue de Ghandi a été vendalisé. Ghandi, accusé d’avoir tenu, entre 1893 et 1915 des propos racistes et quasiment homophobes contre les Noirs en Afrique du Sud. Mahatma est pourtant présenté comme la figure de l’indépendance en Inde et de la non violence mais affirmait que “les indiens sont infiniment supérieurs aux Kaffirs”. Le mot Kaffir, étant utilisé à l’époque par les colons anglais pour désigner les personnes noires.

Toutes ces statues exposent publiquement l’histoire des figures du passé qui ont contribué à un certain moment soit à légitimer l’esclavage et ou la colonisation des peuples soit ont tenu des discours d’inégalités entres les humains.

Certains observateurs pensent que déboulonner n’est pas la solution. Il faut systématiquement expliquer, de la façon la plus pédagogique possible, leur histoire et leur part de responsabilité et de leur degré d’implication dans le passé. C’est la proposition de l’historien Pascal Blanchard que je partage évidemment. Le problème est que cette pédagogie explicative n’a pas été suffisamment faite voire pas du tout. La plupart des figures historiques dont les statues sont plantés dans les plus grandes villes d’Europe, d’Amérique et d’Afrique, ne fait pas l’objet de contextualisation.

D’autres pensent justement qu’il faut soit déboulonner ou placer ces statues dans des musées avec explications à l’appuie.

Kalvin Soiresse Njall, député (écologique) belge pointe justement le doigt sur la question du traitement de l’histoire et de la mémoire coloniale en Belgique. Pour lui, ce pays est resté très longtemps dans une sorte de déni de son passé qu’il refuse de voir en face. Le député Njall affirme donc qu’une société qui ne regarde pas son passé est une société qui se ment à elle même.

Rappelons que la Belgique colonisa le Congo. La statue de Léopold 2, l’une des figures de cette colonisation, est déposé sans être accompagné d’une contextualisation pédagogique. Contexte historique dans lequel le peuple congolais était sous domination Belge.

Lorsqu’on n’explique pas une histoire, on a tendance à laisser penser qu’on la nie, et quand on fait paraître ce doute le risque est grand. Aujourd’hui, la non prise en compte des responsabilités historiques des uns et des autres a provoqué les demandes de déboulonnage partout dans le monde. Les mouvements qui deboulonnent le font parce qu’ils estiment que le passé n’est pas assez assumé dans le monde occidental.

L’affaire George Floyd a provoqué une indignation planétaire. Le racisme dévoilé en plein jour depuis son assassinat a donc conduit à une prise de conscience mondiale sur l’histoire du racisme, les figures, les récits et les personnages qui qui l’ont été.

En Afrique, les traces de la colonisation et de l’esclavage restent encore présentes dans beaucoup de pays. Monuments, forts, ponts etc. L’île de Gorée ou la maison des esclaves en est la trace indélébile.

Mais ce passé est raconté, expliqué enseigné. Joseph N’Diaye, conservateur de cette maison, de son vivant, n’aurait jamais demandé sa destruction parce qu’il considérait qu’il faut raconter cette histoire de la manière la plus complète possible.

Au contraire, il faut dire l’histoire et ne pas laisser planer le doute ou le déni.

Déboulonner et oublier ou ne pas déboulonner mais expliquer, telle est la grande question du monde déconfiné.

Mohamed Lam

Essayiste-écrivain

15 juin 2020

Réflexion – Mauritanie : « L’Etat ou la communauté ? »  Par L’essayiste Moha Lam

Dans un débat politique, un ami non africain m’a demandé de lister les différents Présidents que la Mauritanie a connu, je l’ai fait. Dans son regard, surpris, je pouvais lire deux choses, même si par respect à ma personne, il a jugé nécessaire de s’abstenir de m’en demander davantage :

La première est celle de savoir quelle est la place des autres communautés dans ce pays ?

La seconde, leur capacité à diriger !

Il est difficile de distinguer l’esprit des lois Mauritaniennes et son État à celui de la seule communauté hautement dirigeante.

Il y a peu de temps, l’honorable députée, Kadiata Malick Diallo affirma que

« la Mauritanie appartient à une communauté, et dans cette communauté, il y a des gens qui sont au pouvoir et des gens qui sont dans l’opposition. Ce que nous cherchons maintenant, c’est de voir comment nous intégrer à cela (…) ».

Ce constat n’est plus un scoop. C’est une réalité historique qui doit être corrigée pour enfin assurer, établir ou rétablir l’équilibre communautaire.

Critiquer la gestion d’un État ce n’est pas critiquer l’origine communautaire des individus qui composent cet État. Ces derniers en ont la responsabilité.

Critiquer un État, c’est critiquer la politique qu’il mène. Amalgamer à ce niveau, c’est se tromper et donc rater la cible. C’est aussi semer la zizanie et détourner l’attention du peuple sur son mal-être provoqué par la configuration du système politique.

De la même manière, s’acharner sur un opposant au système au lieu de se concentrer essentiellement sur le système en lui même, c’est faire fausse route.

Mais lorsqu’une communauté s’identifie aux personnes qui constituent majoritairement cet État, c’est aussi un problème.

Là, elle peut se croire viser par les critiques. Alors que ce n’est pas nécessaire. Critiquer l’Etat, c’est critiquer les politiques conduites par cet État. Tout citoyen doit en avoir le droit.

Mais il est où le problème ?

À mon avis, lorsqu’il y a monopolisation du pouvoir de décision, il y a accaparement de tout ce qui en découle. Et quand il y a accaparement, il apparaît difficile de faire le tri entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont en dehors.

Surtout quand la plupart de ceux qui sont en dehors du système mis en place par l’Etat défendent ce dernier même dans sa pire gestion des affaires de la cité. Une question, peut-être, de solidarité tribale verticale inspirée de l’Al Assabiya politique depuis que la Khaima est devenu palais.

Aujourd’hui, il est indispensable de penser et de réfléchir à la Mauritanie de demain et j’estime que cela ne peut se faire sans la mise en place d’un dialogue sincère et concret entre les différents acteurs de l’opposition politique.

Mohamed Lam, 

Essayiste-écrivain 

30 juillet 2020

Réflexion / Débat : « Si, le mot Nègre est péjoratif. » Par l’essayiste Mauritanien Mohamed Lam

J’entame mon propos avec le postulat suivant :

Le mot Nègre ne désigne pas qu’une couleur, c’est une condition sociale et d’existence imposée à l’homme noir africain. Il est alors péjoratif. Il l’était hier, il l’est aujourd’hui et j’espère qu’il le sera pour toujours.

Agatha Christie, elle même, était d’accord pour ne pas utiliser le mot Nègre dans le titre de son célèbre roman << Dix petits Nègres >> , publié 1938, en Angleterre, sous le titre de Ten Little Niggers.

D’ailleurs, Jean Garrigues, historien rappelle qu’elle avait «elle-même reconnue l’utilité de changer le titre au début des années 1940 aux États- Unis», car, dit-il, je cite, elle «sentait […] le poids négatif que ça pouvait jouer sur des populations». 

Je rappelle également que l’homme noir africain, avant sa rencontre avec l’homme blanc (y compris les personnes blanches du monde arabe) , ne se définissait pas comme un homme noir mais comme un homme tout court, un humain.

C’est avec l’institution de l’esclavage, de la colonisation ainsi que celle du racisme dans les imaginaires du dominant que son existence fut redéfinit par ce dernier.

L’homme noir africain, devient alors Nègre non pas seulement par sa couleur mais par sa condition de subalterne, d’infériorité.

Nègre n’est donc pas qu’une couleur mais une condition sociale bien qu’il signifie noir en langue Portugaise (ou en latin negro).

L’africain n’a pas inventé le mot Nègre pour se définir lui-même, il n’a pas à être fier de répondre par cette appellation.

Il n’y a rien à revendiquer d’original si nous ne sommes même pas capables de nous définir selon nos propres modes de perception sociale. La validation de concepts exogènes péjoratifs pour nous qualifier réduit nos individualités et de nos identités respectives ou encore de nos existences dans une vision autre que celle que nous possédons.

Revendiquer le mot « Negro », pour désigner les populations noires de Mauritanie, se l’approprier comme méthode de lutte afin de rejeter le regard que les autres portent sur nous est fondamentalement dangereux pour notre singularité, notre histoire.

Nous sommes, dans le cas Mauritanien, très loin de la pensée de Césaire, ce « Nègre fondamental », qui, comme pour apporter une altérité avec l’homme blanc, définit l’homme noir dans sa différence culturelle et identitaire.

Lorsque Césaire invoque le mot nègre c’est pour répondre aux racistes et aux colons la chose suivante : « Le Nègre vous emmerde ». Entendons par là, le rejet qu’il fait de la signification, dans le fond, du mot. Il l’explique dans une interview :

« … Et quand je parlais de négritude, c’était pour répondre précisément aux racistes qui nous considéraient comme des nègres, autrement dit des riens. Et bien non ! Nègre vous m’appelez et bien oui, nègre je suis. N’allez pas le répéter, mais le nègre vous emmerde. « (Aimé Césaire)

Le contexte Mauritanien est assez différent du contexte colonial bien qu’il y est le facteur domination qui surgit.

La démarche des trois intellectuels de la Negritude (Damas, Senghor et Césaire) n’était donc pas de valider l’idée qui en elle même est substantiellement stigmatisante.

Il est impossible de se débarrasser du caractère humiliant du mot Nègre en en faisant usage.

Selon moi, Nègre est donc une condition sociale imposée. Une fatalité pour l’africain. Un Noir Mauritanien qui se l’arbore fièrement me dérange profondément car il se soustrait de s’autodefinir lui-même.

C’est dans une démarche de « pensée déconstructive » que doit s’inscrire la définition de qui nous sommes.

Cheikh Anta aussi disait Nègre ?

Oui, mais il faut très mal lire Mr Diop pour affirmer que Nègre est convenable car il l’a utilisé.

Nègre, dans la bouche d’un V. Hugo a une toute autre signification que si c’est un Cheikh Anta Diop qui le prononce.

Si l’un reconnaît publiquement la hiérarchie des « races » (passez moi ici l’usage de cet autre abominable mot) et la toute puissance civilisatrice de l’occident sur le continent africain , l’autre prouva, en utilisant le mot Nègre, l’ancienneté de la culture et de la civilisation noire comme  pour déconstruire toute une conception tronquée sur la valeur civilisationnelle de l’homme africain.

Hugo sous estime, infériorise et animalise. Cheikh valorise, restitue une histoire mal racontée et humanise. Dans les deux cas, à mon avis, le mot Nègre reste péjoratif.

Lorsque des personnes noires sont traités de sales nègres dans les pays occidentaux, les indignations fusent de partout pour dénoncer un certain racisme. Or, dans le « monde noir », l’utilisation du mot est faite de façon tout à fait normale.

Utiliser l’appellation faite par l’oppresseur qui en a lui-même décidé ainsi, c’est deux fois accepter sa propre condition sociale :

1-Être incapable de se nommer.

2-Être incapable de se définir soi-même.

Par l’effet de l’aliénation et de la perte de nos identités respectives, faire fièrement usage du mot « Negro »,  sans analyse conceptuelle profonde, c’est valider le regard que le dominant porte sur le dominé.

Dans les années 30, les penseurs de la Négritude en ont fait usage, mais leur objectif était principalement d’explorer le particulier, le singulier, les différences pour mieux les porter à l’universel.

Qui est  » Negro-Mauritanien »?

Partons d’un syllogisme :

1-Tous les Noirs de Mauritanie sont « Negro-Mauritaniens ».

2- Les Haratines sont des Noirs de Mauritanie.

3- Donc les Haratines sont « negro Mauritaniens ».

Il y a là une difficulté majeure et j’estime que le débat mérite d’être posé à plus grande échelle.

Culturellement ou traditionnellement, les Harratines sont plus proches des Maures que des Noirs de Mauritanie. Je ne reviendrai pas sur la thèse qui consisterait à expliquer que c’est à cause de l’esclavage, tout le monde le sait.

Mais il est tout de même important de savoir que si, est « Negro Mauritanien » toute personne noire de Mauritanie, tout hartaani est negro Mauritanien.

Or, on le sait, rien, à part la couleur de la peau, n’indique qu’un hartaani est traditionnellement plus proche d’un Peul qu’un Maure. Le Hartaani s’habille, parle, pense et mange même peut-être comme un Maure.

Alors qui sont vraiment les « Negro Mauritaniens »? 

Les militants et les intellectuels Mauritaniens qui ont fait usage de l’expression « Negro-Mauritanien » n’ont fait que reproduire les techniques de définition utilisées jadis : affirmer sa négritude par rapport au système politique et social Mauritanien. Système Beydane (blanc) selon beaucoup de personnes.

Cependant, agir ainsi laisse penser que l’homme noir Mauritanien a quelque chose à prouver à l’homme blanc Mauritanien.

Le noir se definirait alors uniquement par rapport à l’autre. Il ne cherche pas à trouver, à travers lui-même, ce qui le rend authentique.

Césaire, pourtant, dans « Le Nègre fondamental » , était dans cette posture. L’affirmation de l’identité et de la culture noire dans un monde dominé par la culture blanche. Mais il avait une Pensée-Monde qui ne tolerait aucune interprétation consistant à figer sa réflexion sur le seul mot Nègre.

L’objectif des penseurs de la négritude n’était pas de confirmer l’idée que l’on avait du noir, mais de la déconstruire.

Or, en Mauritanie, je ne pense pas que les militants et intellectuels soient dans cette même position. Aucune doctrine n’a été élaborée et étudiée pour donner du sens aux mots employés dans les luttes pour l’égalité.

L’expression est utilisée pour simplement distinguer le Noir du Beydane. Alors autant dire Noir. Nègre, c’est péjoratif et recourir fièrement à son utilisation c’est finalement héberger dans sa propre vision, tous les préjugés racistes sur l’image du Kewri (Noir en Berbère Mauritanien).

Mohamed Lam

Essayiste Mauritanien

22 septembre 2020

Penser et écrire d’ici les mémoires d’ailleurs.

J’aimerais parler de l’écriture qui migre ou du migrant qui écrit. De ce voyageur qui n’a jamais été ailleurs, de celui là qui a toujours été ici. Celui qui est parti sans vraiment partir.

Je réfléchis désormais à la possibilité de procéder à la « récupération de soi dans l’exil » telle expliquée par Nadia Yala Kisukidi (Écrire l’Afrique Monde) afin de pouvoir rester fidèle à la culture source qui fonde et détermine la pensée des penseurs d’ailleurs. 

Je cite Kateb Yacine qui reconnaît que « la mémoire n’a pas de succession chronologique » (Le Polygone étoilé). Cet écrivain de la mémoire qui fut dans une sorte de récupération du passé. De sa langue, le souvenir des langages de son passé, son enfance, sa rencontre avec les lettres. 

Je réfléchis donc désormais au rapport existant entre l’écriture, l’écrivain et l’exil. Ce rapport entre ce qui est vécu et ce qui est dit, écrit ou ressenti. J’ai donc davantage compris le sens de l’expression. Je l’avais d’ailleurs déjà compris lorsque Mariem Derwich affirma que « sans le mot, l’écriture ou la parole, l’exil ne serait que douleur vaine, interrogations douloureuses » (Littérature et exil). 

Je souris et valide car l’exil du corps et l’exil du cœur sont ici poétiquement expliqués par cette dame également originaire du pays au million de poètes. Cette dame qui écrit ses identités. 

J’ai donc décidé de ne pas souffrir. En écrivant, mes interrogations deviennent infiniment légitimes, souvent intimes car mon exil n’est qu’intérieur. Je ne ressens plus aucune douleur car je parle et j’écris. 

Parlons de tout ça sans préjuger car beaucoup de ceux qui ne sont pas concernés par ce sentiment double jugent sans questionner. 

Je dis cela car si « les morts ne sont pas morts » ceux qui vivent encore mais qui sont partis ne sont donc pas vraiment partis. 

Partons plus tôt de la réflexion à la création d’un « nouvel être cosmopolite » comme pour défendre l’idée d’un nouveau type d’africains. Ceux qui ont des pensées d’ici et une mémoire d’ailleurs. Ceux contre qui l’on reproche d’être ce qu’ils sont parce que loin. Ceux qui, malgré tout, restent ce qu’ils sont et le revendiquent. Ceux qui continuent d’aimer leurs « ailleurs » mais qui continuent de penser à travers ce qu’ils perçoivent de mieux de leurs « ici » . Ceux qui pourtant comprennent avec l’intelligence du cœur « …le regard de convoitise solaire qu’echangent les danseurs » qu’évoquait Suzanne Césaire. 

Les pensées d’ici ne sont pas opposées aux mémoires d’ailleurs. D’ailleurs, pensées et mémoires ne sont pas vraiment dissociables. L’une se nourrit de l’autre comme pour rester vive dans l’esprit de l’écrivain loin de sa terre natale et vice versa. 

J’ai écrit « L’oubli volontaire » pour garder dans ma mémoire l’âme de ceux qui, avant nous, ont combattu pour nous. 

Mohamed Lam, 

Essayiste-écrivain Mauritanien 

Mars 2020

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